Les fascias
Les fascias, si importants et pourtant si méconnus
Les fascias restent encore, à ce jour, les grands oubliés de la science. Ce système à part entière rester à explorer, et son rôle reste à déterminer dans beaucoup de domaines.
Ce tissu conjonctif est présent dans tout le corps et joue un rôle central dans notre santé.
Le spécialiste Thomas Meyers (Auteur de l’ouvrage « Anatomy trains : les méridiens myofasciaux en thérapie manuelle ») décrit les fascias comme une chaine continue. Il donne comme exemple un fascia plantaire enflammé : pour soulager la douleur, il ne suffit pas de travailler sur la zone de douleur : il convient de travailler sur tout le système de réseau continu. De ce fait, un pincement à un endroit, une zone fragile, par exemple, peut avoir son origine ailleurs : une douleur dans le bas du dos peut provenir d’un problème au pied, ou bien par rapport aux épaules. Il faut observer la personne dans sa globalité pour trouver la source
de la douleur.
Récemment, Jan Wilke, médecin à Francfort, a posé l’idée que la manipulation permet de modifier l’état des fascias. Il a étudié, notamment, la ligne dorsale : érecteur rachis ligament sacro tubéral, mollet plante du pied. Une expérience consistant à créer des mouvements de la cheville pour étirer le mollet et mobiliser les fascias de la cuisse a permis de constater que l’étirement de la jambe augmente l’amplitude du mouvement de la colonne vertébrale. Cela montre que les forces se transmettent verticalement, mais aussi horizontalement. C’est une découverte intéressante, car elle a pour application de pouvoir soulager les douleurs de façon indirecte.
Le Chirurgien J. C. Guimberteau s’est également penché sur les fascias. Il les décrit comme « un réseau de toile d’araignée, apparemment chaotique mais d’une efficience parfaite. Nous sommes un réseau fibrille de la surface de la peau jusqu’au plus profond de l’os et des cellules, tout est lié par une organisation fibrillaire dont le diamètre est extrêmement variable mais continu : il n’il n’y a pas d’espace libre dans la toile ».
Fascinante esthétiquement, les images donnent à voir la variété de formes et de couleurs de ces structures tissulaires en mouvement permanent et en réorganisation perpétuelle. Carla Steco, qui étudie les fascias depuis qu’elle les a découvert, pendant ses études de médecine puis au cours de l’exercice de son activité, en dit : « les ignorer serait comme ignorer les nerfs ou les vaisseaux sanguins : c’est un organe à part entière. » Pour illustrer son enseignement, elle utilise l’image d’un pamplemousse. Si on coupe le fruit en deux, on voit qu’il n’est pas constitué que de pulpe, mais qu’il y a aussi une composante fibreuse qui soutient le tissu proprement dit. Le tissu fascial est un tissu conjonctif lâche, ce qui lui permet de glisser d’un tissu à un autre, une structure fluide qui peut se déplacer très facilement. Il est composé d’eau, de protéoglycanes (un protéoglycane est une glycoprotéine, combinaison d'une protéine et d'un glycosaminoglycane) et de tissus : c’est une peau blanchâtre omniprésente dans le corps, sous les formes et les natures les plus diverses. Les fascias superficiels sont directement sous la peau, les fascias profonds entourent les muscles et les fibres musculaires. Cette pellicule entoure aussi nos organes, y compris notre cerveau : on peut considérer les méninges comme des fascias particuliers, car elles ont les mêmes caractéristiques que les fascias visibles dans les autres parties du corps.
Le docteur Stecco a établi un atlas des fascias : pour la première fois dans les 4 siècles d’histoire de l’anatomie, les fascias sont répertoriés dans l’ensemble du corps humain. Par exemple, un des fascias qui revient souvent dans les recherches scientifiques est le fascia thoraco-lombaire, un des fascias profonds, souvent le siège ou à l’origine de douleurs dorsales.
Le docteur Robert Schleip, chercheur à l’université d’Ulm, a démontré l’importance de l’activité physique sur les fascias, et notamment sur les douleurs dorsales. Il s’est penché sur la composition des fascias : ceux-ci sont composées de cellules de fibroblastes entourées d’une matrice de collagène. Cette matrice est créée par les fibroblastes elles-mêmes, qui produisent ce collagène.
Le collagène est important, car c’est la substance qui permet la cicatrisation des tissus. Mais s’il y trop de collagène, la structure du fascia s’épaissit et il y a une perte fonctionnelle du tissu. Or c’est l’activité physique qui permet la régulation de la production de collagène :la sédentarité et de mauvaises postures peuvent enraidir les fascias au point que les nerfs et les muscles peuvent finir par se coincer ; nous avons donc besoin d’une stimulation physique régulière pour maintenir nos fascias en forme.
Existe-t-il un lien entre les douleurs dorsales et les adhérences fasciales ? Le docteur Hélène Langevin, de l’université de Boston, s’est penchée sur la question après avoir constaté que certains de ses patients présentaient des douleurs dorsales alors qu’ils n’avaient pas de lésions…. Et que d’autres présentaient des lésions mais sans douleurs.
Quand on observe les fascia Thoraco Lombaires d’un patient sain, on voit que les couches superposées ont une bonne capacité de glissement (de l’ordre de 75%), chez les patients présentant des douleurs, cette capacité descend à 50%. Les responsables : les cellules fibroblastes, qui font une surproduction de collagène. Pour stopper cette surproduction, une solution somme toute assez simple : activité physique et étirements.
Les expériences ont prouvé qu’après une séance d’étirement, les fibroblastes grossissent jusqu’à doubler de volume, en plus d’envoyer des signaux pour que le tissu se relâche : on a une régulation cellulaire active de la tension du tissu conjonctif.
Thomas Meyer, quant à lui, vise à sensibiliser les praticiens (kiné, masseurs, etc.) à la tenségrité : la faculté de la structure du corps à se stabiliser par le jeu des forces de tension et de compression qui s'y répartissent et s'y équilibrent.
Il s’agit de comprendre le système desfascias en tant que système global : dans le modèle anatomique classique, le squelette est le soutien du reste, une structure porteuse. La colonne vertébrale est vue comme le piquet sur lequel repose le tissu mou de la tente de camping des fascias. Dans ce contre modèle, la structure osseuse, notamment les vertèbres, sont suspendues et soutenu par les fascias.
Nous avons vu que le mouvement est indispensable au bon fonctionnement des fascias. Un autre élément clef est l’eau contenue dans le tissu, qui contribue à son élasticité et à sa lubrification : les fascias peuvent atteindre jusqu’à 70% d’eau (on retrouve de grosses différences entre les individus, notamment en fonction de leur âge). Le processus de fixation de l’eau implique les fibroblastes : plus ces cellules contiennent d’acide hyaluroniques (AH), plus la capacité de captage en eau augmente, plus le fascia est mobile.
Antonio Stecco, frère du Docteur Carla Stecco, étudie quant à lui la quantité d’AH présente dans les profondeurs de la peau. Trop peu hydraté, le fascia devient rugueux et cassant. L’AH lubrifie et hydrate l’ensemble des tissus. Comment améliorer cette hydratation ? La théorie testée par le Dr A. Stecco est l’idée que les étirements/le massage augmentent la capacité de teneur en eau, et que le drainage des liquides tissulaires évacue les substances inflammatoires et nettoie les tissus. Le Rolfing, une méthode de massage issue du Deep Tissue, technique en pressions très appuyées et très lentes, est la technique utilisée pour tester cette théorie. Résultat : à la manière d’une pression sur une éponge pleine d’eau, les pressions du massage permettent effectivement le renouvellement de la réserve en eau du fascia, qui est plus humide après les manipulations, et augmentent ainsi sa souplesse.
Le sport, en produisant des micro blessures dans la toile d’araignée des fascias, force le corps à produire du collagène frais pour s’auto réparer.
Le massage et l’activité physique réorientent les fibres de collagène : les fibroblastes produisent des AH frais, l’eau est renouvelée, les fascias peuvent donc de nouveau glisser correctement. Les fibroblastes peuvent produire du collagène frais en seulement 3 jours, mais cela peut prendre jusqu’à un an pour que les tissus se régénèrent dans leur totalité. Le docteur Langevin, quant à elle, a prouvé les effets de l’acupuncture sur les fascias. Grace à des observation via un échographe, elle a pu constater que la résistance à l’aiguille décrit par les acupuncteurs est due au collagène, dont les fibres s’enroulent autour de l’aiguille « comme des spaghettis autour d’une fourchette », et ce jusqu’à 1 cm de distance de la pointe de l’aiguille. Les fibres réagissent, les tissus se détendent, de l’ATP est relâché, le fonctionnement des fibroblastes s’en trouve amélioré, d’où l’effet antalgique de
l’acupuncture.
Les fascias, siège de nombreuses souffrances sont aussi la clef de leur guérison. Nos connaissances ont beaucoup évolué ces dernières années, les fascias sont passés sur le devant de la scène. Mais il reste encore énormément à apprendre : longtemps sous-estimés, lesfascias nous réservent encore bien des surprises !
Source : Documentaire ARTE « Fascinants fascias », 2017, Kirsten ESCH